Il est tard, et pourtant Graham hante encore les corridors. Sa haute stature ombre les allées et son pas lourd résonne. Tout est vide, résolument vide. Et lui alors, qu'est-ce qu'il fout là ? Allez savoir. Une dernière inspection, peut-être ?

La vérité, c'est que notre cher concierge revient de la supérette. Au bout de son bras, un sac plastique de Tesco. Dedans, plusieurs bouteilles de Penderyn. Son whisky fétiche, son alcool du pays. Y a rien de tel, quoi qu'en disent les écossais. Il boit trop, Graham, on lui a déjà dit ça. Il boit seul, et ça non plus c'est pas une bonne chose. Il paraît, ouais. Mais sérieusement, s'il devait s'abstenir de bibine pour cause de solitude, il n'aurait plus qu'à se faire moine. Ouais, y a Thomas le chat, mais ils passent pas leur vie ensemble. Et c'est tant mieux.

Il marche en silence, le gallois, et ne passant devant une salle de classe un truc attire son attention. C'est musical, c'est avec des sonorités qu'il connait.. C'est gallois, ouais. Bordel. Wut ? Il s'est arrêté pour écouter un moment, l'ours. Et avec un bref reniflement il fait un pas en direction de la porte. Mouais, non. Pas ses oignons, pourquoi il irait voir ? .. Mais. Les élèves sont plus supposés être là. C'pas son taf d'être pion, mais si y a des petits cons qui foutent le seum, qui est-ce qui va devoir se coltiner les réparations après ? C'est bibi. Ouais, non. Définitivement, il va aller voir. Checker que ce ne sont pas des gosses en mal de rebellion. Dieu sait qu'il y en a ici, à croire que c'est la marque de fabrique de cette école. Comme l'autre nabot blafard qui se baladait en pleine nuit comme chez maman. Gné.

Il s'avance donc, et toque de sa grande paluche contre la porte. Parce que même s'il faut ensuite dégainer la grosse voix, il sait être poli d'abord. Histoire qu'ils ne puissent pas le lui renvoyer dans les dents. Heh. Il est rodé, le Graham. Bref, y a le toc toc habituel, et il ouvre la porte sans trop attendre. Et dedans.. Bah dedans y a juste un gus, la musique, et de l'art. Non, Graham ne met pas de majuscule à ce mot là, pas plus qu'à littérature ou science. C'est pas son rayon, pas son truc. Pas de quoi s'extasier, pas pour lui. Pas comme ce type en face qui a l'air d'être en plein dedans. Vu sa gueule et son âge, c'est un prof. Sa trombine dit vaguement quelque chose au gallois qui fronce les sourcils dans un effort de mémoire.

- .. B'soir.

Ouais. Être poli, avant tout. Surtout devant quelqu'un du personnel, prof ou pas. La montagne humaine se redresse et son regard se balade sur la pièce, qui est décidément dans un état impeccable. Ca sent la peinture, et plein d'autres trucs chimiques non identifiables. Le brun ne traine pas assez dans les ateliers pour avoir mémorisé chaque odeur. Et puis son regard se plante sur l'homme face à lui, sur toi. Qu'est-ce tu fous là à cette heure, sérieux ?

- D'solé de déranger. Je croyais que c'était des élèves. Ca n'auraient pas été les premiers à roder quand faut pas.

Pas d'animosité dans ses mots, pas de gêne non plus. Son timbre grave ricoche dans la pièce posément. Quand il bouge un peu, les bouteilles tintent doucement comme pour signaler leur présence. Léger regard vers elle, et le concierge revient à toi. Tu peux penser ce que tu veux, il s'en contrefout comme de sa première couche. Bref reniflement. Il attend ta réponse de politesse s'il y en a une -mais t'es prof, donc civilisé. Il y en aura probablement- et puis il repartira. Il te connait pas, donc pas de raison de s'attarder. Pis t'as l'air bien perché dans ton monde de couleurs, alors hein. Va pas s'emmerder à t'emmerder.