Bon. Récapitulons. Exploser le réveil ? Fait. Faudra penser à en racheter un. La douche, la nicotine, le café noir et corsé ? Fait, fait, fait. Grogner, s'habiller, jurer.. Oui, c'est fait tout ça. Une habitude bien huilée, un truc cliché tellement c'est routinier. Ca endort, ce genre de chose, ça fait oublier le palpitant du dehors. Graham s'encrasse et s'enracine, y a pas à dire.

Son blouson sur le dos, le voilà qui sort dans les couloirs de l'établissement. Y a tant de choses à faire, à réparer. Tant de torgnoles "pédagogiques" qu'il voudrait fracasser sur ces gamins en pleine crise. Les classeurs brulés ? Ouais, c'est resté en travers, encore un peu. Faut dire que l'odeur colle encore un peu à sa veste, comme un éternel post-it olfactif. Sales gosses. Faudraient qu'il se calment, quand même. C'est pas tous des petits merdeux, nan. Mais y en a, c'est comme partout. Y en a qui s'imagine que la vie c'est un kiwi, qu'ils sont toujours intouchables comme quand papa-maman les consolaient d'être tombés de la balançoire en offrant une barbe-à-papa. Mais la vie, la vraie, c'pas comme ça. Et tant mieux, d'ailleurs. Ce serait à gerber, tout ce rose bon bon papillonant de bons sentiments.

L'homme avance toujours en roulant des yeux. Il s'énerve tout seul à repenser aux classeurs brûlés, c'est ridicule. Totalement risible. Un vieux bougon, et le pire c'est qu'il s'en rend compte. Autour de lui, les gamins courent, marchent, se bousculent, rient, crient.. C'est vivant, trop animé pour lui qui voudrait du calme. Une bière, une clope, son café noir et corsé, ce serait parfait. Mais non : y a les chiottes du second qu'il faut réparer. Pourquoi il avait pris ce boulot, déjà ?

Sa masse se taille une route au milieu des étudiants. Y en a de toutes les tailles, mais bien souvent il a l'impression d'être un cachalot qui nage au milieu d'un banc de poissons. Des sardines, par exemples. Ca se balade par groupe, ça non ? Foutus poissons. C'est petit, ça va partout, ça se faufile, et lui faut faire gaffe à pas en abimer un au passage. Sauf que voilà. Eux, ils peuvent faire ce qu'ils veulent, ces bouffeurs de barbe-à-papa. Ils s'en foutent. Les vieux, on leur crache à la gueule et on n'y fait pas gaffe. Pour quoi faire ? Ils sont là pour ça, non ?

Graham, il n'est pas de bon poil. Personne ne le serait, si on lui disait qu'il doit réparer les chiottes du second. C'est pas assez bucolique, comme travaille. Pas assez poétique. Bref, il est d'humeur orageuse déjà, et faudrait pas qu'une sardine vienne faire chier le vieux Moby Dick. C'est un coup à se faire bouffer, à se faire gober tout cru pour payer les affronts de toutes les sardines avant elle. C'est pragmatique, un cachalot, c'est mesquin aussi.

Mais, oh. Y aura pas de sardine assez conne pour le faire chier aujourd'hui, pas vrai ? Naaaah.

Ca serait con de servir de brosse à déboucher les chiottes du second. Vraiment.